Sous la grande vague au large de Kanagawa
Une histoire de mer et de montagne
Cette célèbre estampe nous propose à première vue un thème marin, mais ce serait oublier l’autre acteur de poids de ce paysage, le Mont Fuji, 3776 mètres d’altitude, régnant en maître au cœur de l’image. Son dôme blanc, de taille réduite pourtant, est avec la mer l’élément fondamental du paysage. La mer sert en effet de cadre photographique à ce mont sacré avec une amorce de vague, à droite, timide et redoutable à la fois. Puis à gauche, LA vague, celle du titre de l’œuvre, digne d’un typhon, terrifiante, prête à dévorer les fragiles embarcations. Enfin, au premier plan à gauche, une houle plus petite dont la silhouette ramène à celle du Fuji. Une « sœur » de la montagne ? Cette œuvre magistrale résume ainsi, en une unique image, la réalité de l’espace naturel japonais ou mer et montagne s’épousent.

Un quotidien soumis aux éléments
L’art du dessin chez Hokusai semble inné, puisque dès l’âge de 6 ans il en fait un office quotidien, attentif à son environnement villageois où se déroulent des vies simples et besogneuses, sur terre comme sur mer, sous l’œil protecteur du Mont Fuji. Dans cette estampe, le peintre nous installe, nous humbles spectateurs, en pleine mer, au large d’une baie au sud-ouest d’Edo (Tokyo aujourd’hui). Est évoqué le commerce par mer via ces jonques asiatiques destinées au transport de denrées alimentaires. Hokusai est d’une précision rigoureuse : ces bateaux naviguent à vide, puisque orientés vers l’ouest. Ils reviennent certainement d’Edo et retournent dans leur port d’origine, l’embarcation légère, fragilisée par le ressac. On saisit ainsi d’autant mieux la terreur des marins face aux éléments, rames relevées, dos voûté. Leurs bateaux mesurent une douzaine de mètres, la hauteur de LA vague est donc effrayante.

Du cinéma avant l’heure
L’héritage apporté en Occident par Hokusai est immense. Les maîtres de la peinture moderne en France, Monet, Van Gogh, Cézanne entre autres découvrent après 1850 cet art de l'ukiyo-e ou « image du monde flottant », le cinéma avant l’heure. La vague traduit à la perfection l’instantané, l’éphémère, le sens de l’intrigue propres au 7e art. Que va-t-il se passer ici ? La mort ? On peut le craindre, tant les éléments sont déchaînés, l’immense houle commence à dévorer la jonque de gauche. La vie ? Pourquoi pas. La pointe effilée des embarcations peut les sauver. L’œil du mont sacré, seul élément stable dans cet ensemble, veille. Divinisé par les Japonais, il est insaisissable et aussi redoutable que la mer. Volcan endormi, il peut, comme le typhon, s’éveiller brutalement. L’écume de la vague, confondue avec neige tombant sur le mont crée un lien indissociable entre ces deux éléments naturels. Décidément, la vie au Japon est loin d’être… un long fleuve tranquille.
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