Une autre histoire de masque
Une mise au fer masquée
Même si l’expression « été indien » est, semble-t-il, le pré carré des Américains du Nord, nous oserons un emprunt pour rappeler aux nostalgiques des vacances estivales que de magnifiques découvertes en bord de côte et au fil du vent sont encore possibles une fois l’automne installé. N’en déplaise à nos amis d’outre-Atlantique, l’arrière-saison offre aussi en Europe une période de temps ensoleillé, aux températures douces, sorte de baroud d’honneur climatique avant les froids hivernaux. Il serait dommage de ne pas le savourer.
Cap sur les îles de Lérins, en baie de Cannes. La plus grande des deux îles, Sainte-Marguerite, a « accueilli » le mystérieux Masque de fer pendant onze ans (de 1687 à 1698) sur ordre de Louis XIV. Livres, revues, films, expositions pourront toujours vous vendre la fin de l’énigme, la réalité est qu’encore aujourd’hui, personne ne sait quel individu encombrant a été enfermé dans ce fort militaire restauré par Vauban et élevé au rang inquiétant de prison d’État. Car si les détenus y étaient certainement plus au calme qu’à La Bastille, le fait que le Roi Soleil décide de les y mettre à l’ombre présageait le pire. Mais qui derrière ce masque ? Un frère jumeau menaçant l’éclat du roi ? Un ministre déchu ? Un godelureau de la reine... ?
Visages de marbre au fond des eaux
En découvrant cette curiosité de l’Histoire de France, l’imaginaire du sculpteur britannique Jason deCaires Taylor s’est enflammé. Non pas pour tenter de percer l’identité du mystérieux prisonnier mais pour... son attribut, le masque. Jason y a vu des symboles.
Né en 1974, Taylor fait partie d’une génération qui, entre son adolescence et sa vie d’adulte, a été témoin de l’ampleur phénoménale que la problématique environnementale a prise dans nos sociétés, et ce sur un temps très court. Diplômé du prestigieux London Institute of Arts en 1998, son combat est, depuis lors, de « tomber les masques » pour encourager les individus à prendre conscience de la dégradation galopante des équilibres naturels et... agir.
Sa méthode ? L’intervention artistique en milieu naturel. En 2016, il commence à « semer » des sculptures de personnages aux visages figés, voire inquiétants, sur les fonds océaniques de la Grenade, puis au Mexique, en Norvège, en Australie, à Lanzarote... et, en 2021, entre les deux îles de Lérins, en hommage au mystérieux Masque de fer. Son intention ? Attirer les regards vers les fonds marins et éveiller les esprits.
Philo sous l’eau
L’ensemble est composé de six masques monumentaux de plus de deux mètres de haut et pesant plusieurs tonnes. Les fonds à cet endroit alternent entre zones de sable (là où Taylor « plante » ses sculptures) et des herbiers de posidonies, plantes aquatiques jouant un rôle essentiel dans l’écosystème.
Les visages sont ceux d’habitants de la région. Divisés en deux parties, ces masques incarnent une métaphore de la mer : un côté traduit la puissance de l’élément marin, son caractère indomptable ; l’autre évoque le contraire, la mer étant aussi délicate, tragiquement fragilisée par l’action des hommes.
Ces œuvres permettent ainsi une leçon de philosophie. L’entre-deux îles où ces masques sont posés a connu des temps funestes quand câble sous-marin et ancres de bateaux ont profondément blessé les fonds. Aujourd’hui, on peut parler d’une salle d’exposition aquatique où le visiteur porte lui aussi son masque... de plongeur, pour voir la beauté d’un monde où faune et flore s’installent peu à peu sur et autour des sculptures. Un voyage au paradis.
|
Si vous avez une idée d'article, contactez mickael@filovent.com