Bataille navale en centre-ville
L’art du glaive au fil de l’eau
La propagande de certaines grandes figures politiques prend au cours de l’Histoire des formes très variées parmi lesquelles la naumachie se démarque, au temps de la splendeur de Rome, par son ampleur particulière. La naumachie ? Un événement grandiose, à la fois tragique et inédit, particulièrement jubilatoire pour des spectateurs avides de surenchères dépassant l’imaginaire : un combat à mort entre deux flottes non pas en pleine mer mais sur un plan d’eau, soit naturel, soit recréé au cœur d’un édifice. Le Colisée en incarne certainement la dimension la plus monumentale. Construit sur ordre de Vespasien (empereur de 69 à 79), l’amphithéâtre présentait aux foules exaltées des affrontements « traditionnels » d’hommes ou d’animaux mais aussi des « jeux stratégiques » exigeant une ingénierie prométhéenne : la transformation de l’arène de sable en un vaste bassin, suffisamment profond pour que des joutes entre birèmes, trirèmes ou quadrirèmes puissent s’y dérouler. Les archéologues ignorent encore aujourd’hui le détail des mécanismes permettant de telles prouesses, si ce n’est l’alimentation du lieu en eau via un aqueduc.

Dominer les éléments pour mieux soumettre les hommes
La première naumachie remonte à 46 av. J.-C, époque où le Colisée n’existait pas encore. Jules César fit aménager le Champ de Mars pour l’occasion : des dizaines de navires et 6 000 hommes (2 000 combattants, 4 000 rameurs) s’y affrontèrent sous les applaudissements d’une foule en délire, fascinée par le fracas des coques et les abordages sanglants. Le célèbre historien latin Suétone écrit, plus d’un siècle après, les Vies des douze Césars dans lesquelles il offre de curieuses anecdotes : « Un lac fut creusé dans la petite Codète ; et des vaisseaux tyriens et égyptiens, à deux, à trois, à quatre rangs, et chargés de soldats, y livrèrent un combat naval. L'annonce de tous ces spectacles avait attiré à Rome une si prodigieuse affluence d'étrangers, que la plupart d'entre eux couchèrent sous des tentes, dans les rues et dans les carrefours, et que beaucoup de personnes, entre autres deux sénateurs, furent écrasées ou étouffées dans la foule ». On comprend bien les buts de tels « raouts » : exposer la puissance du chef d’orchestre de la glorieuse civilisation romaine, seigneur des mers et dompteur d’hommes, en syntonie avec les dieux.

Divertir puis mourir
Deux autres naumachies marquent l’Histoire : celle d’Auguste, ordonnée en 2 av. J.-C dans le Trastevere, ravivant la victoire navale des Grecs (dont les Romains se considèrent les dignes héritiers) contre les Perses à Salamine en 480 av. J.-C ; et celle de Claude en 52 ap J.C sur le lac Fucino (aujourd’hui disparu), au cœur des Abruzzes, célébrant un combat entre Rhodiens et Siciliens. Qui sont les « acteurs » de ces jeux funestes ? Des prisonniers de guerre dont Rome ne manque pas du fait des conquêtes territoriales que l’Italie mène depuis le IIe siècle avant J.-C, des gladiateurs, des criminels... Véritables bêtes de somme, ces individus devaient toutefois avoir des connaissances en manœuvres navales, tant les enjeux et les coûts de ces naumachies étaient importants. Hors de question que les navires et les combats soient menés par des marins « à la petite semaine ». Sont donc sacrifiés, pour la gloire de l’empereur, des hommes capables de barrer des vaisseaux à deux, trois, quatre, voire cinq rangées de rames en milieu aquatique restreint, ainsi que des combattants « au pied marin ». Le poète Juvénal se moquera, au Ier siècle, d’une société endormie par le faste des spectacles, au détriment du soucis politique. « Du pain et des jeux », là est la question.
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