VISION TROUBLE À L’HORIZON. L’ÉTRANGE ART RAZZLE DAZZLE.

Zèbre à bâbord !

Il est probable qu’un marin un peu fatigué voguant sur l’Atlantique en novembre 1917 se soit frotté les yeux par deux fois à la vue d’un bien étrange bateau croisé au large : le Léviathan. Le bâtiment avait en effet de quoi surprendre : « habillé » en zèbre, on ne savait pas trop par quel bout le regarder et ce pour une raison simple : dans le choix des formes peintes sur sa coque, tout était conçu pour troubler l’œil du regardeur. Un enchevêtrement de lignes géométriques sur la hauteur et la longueur du navire créait des illusions d’optique bien utiles en ces temps difficiles. Bienvenus dans l’art du camouflage, le Razzle Dazzle.

Perturber le regardeur

Le Razzle Dazzle est le fruit du génie militaire de la Grande Guerre. À la fin du conflit, le Léviathan, le Mauritania ou l’Olympic transportent des hommes et du matériel entre les Etats-Unis et Brest. L’arrivée sur les côtes européennes est dangereuse, une centaine de sous-marins allemands postés au large veillent, prêts à couler les navires alliés. Pour atteindre leur cible, ces terribles U-Boot remontaient à la surface pour évaluer en seulement une minute, sous peine d’être repérés, la taille du bateau, sa vitesse, son cap… Face à ce danger, quoi de plus astucieux que de perturber la vue et les capacités d’analyse du tireur par des formes trompant l’œil.

Une guerre de pinceaux

Cet art au nom intraduisible si ce n’est par les termes « tape-à-l’œil », « éblouissant », « aveuglant », doit beaucoup au cubisme, né en 1907 sous le pinceau de Picasso, mais aussi à des peintres engagés, comme le célèbre Norman Wilkinson intégré dans le corps de réserve de la Royal Navy. Conscient de la difficulté de cacher un navire sur l’eau, Wilkinson optera judicieusement pour le camouflage dazzle par des contrastes de couleurs et de formes. Cet art devint ainsi une « arme » pacifique utilisée encore aujourd’hui par les Etats-Unis, la Suède, la Finlande et la Chine.

Le Musée de la marine de Brest offre une exposition passionnante sur ce sujet insolite « Razzle Dazzle, l’art contre-attaque ! » jusqu’au 31 décembre 2018. N’hésitez pas à vous y rendre !

Article rédigé par Véronique Michel Diplômée de l’Ecole du Louvre et titulaire de l'agrément de conférencier du Ministère du Tourisme et de la Culture, elle a travaillé pendant dix ans pour la galerie parisienne Marwan Hoss. Installée en Espagne depuis 1997, elle est chargée de conférences en Histoire des arts, cultures et religions du monde à l’Institut Français de Barcelone.