Les océans ont-ils un caractère ?
Pour trouver un embryon de réponse, intéressons-nous à deux individus que tout semble opposer : Olivier de Kersauson (né en 1944), breton pudique et bougon, navigateur-poète au cœur sensible, et Hiroshi Sugimoto (né en 1948), japonais souriant, un brun moqueur et célébrissime photographe contemporain au regard de philosophe.


Les deux s’interrogent face à la mer et en dressent des portraits. Le premier par des livres singuliers où les océans, décrits comme des individus à part entière, grondent, menacent ou trahissent le navigateur. Le second par de somptueux horizons marins apaisants, bienveillants et mystérieux. Ce sont les Seascapes, saisis dans une lumière d’argent transcendantale.

Deux caractères, deux sensibilités, deux regards. Olivier de Kersauson, granitique aventurier des mers, a l’écorce dure et l’âme tempétueuse. Les impressions qu’il nous livre surgissent d’un face à face titanesque avec la mer. Le marin joue son destin au cœur d’océans peu commodes. Prenons l’Indien, l’océan bien sûr, roi des (vilaines) surprises :
"Je l’ai toujours franchi animé d'un grand sentiment silencieux, empreint d'une animosité physique. Il y a, dans l’Indien une sorte d'esprit de châtiment idéologique envers le navigateur. C’est l’océan des huis clos maritimes. On peut mesurer sa puissance aux faibles témoignages à charge. Il serait trop long de faire ici l’inventaire de toutes ses vilenies. L’Indien a toujours mis au supplice les marins. C’est un chaudron de sorcière dans lequel il est impossible d’avancer. Je l’ai toujours détesté, il me fait peur. On peut y être massacré."

Rien de tel chez Sugimoto. Ou mieux dit : une perception autre. Les mers sont certes dotées une âme mais le photographe s’intéresse au "stade primitif du cerveau humain, avant le monothéisme. Lorsque les gens croyaient à des centaines d'esprits disséminés partout dans la nature, comme dans le shintoïsme. Il y a une sorte de retour à ces croyances (…). Les hommes ont totalement transformé la surface de la terre en la cultivant, mais ils n'ont pu modifier la mer. Il y a des milliers d'années, les premiers hommes regardaient sans doute les mêmes paysages marins que nous".
Tel un sage zen, Sugimoto nous propose des océans apaisés, espaces de vacuité en nuances grises, propices à la méditation. Atlantique, Indien ou Pacifique ? Peu importe, Sugimoto n’est pas, contrairement à Kersauson, un combattant des mers.
Nos deux rêveurs viennent chacun d’un bout du monde. Une distance abyssale les sépare a priori. Et pourtant, chacun sur son récif rejoint le regard de l’autre.
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