On ne le saura jamais
Il est possible qu’un jour de l’an 563, un habitant des rives du Léman ait eu la mauvaise idée de prendre sa barque pour profiter d’une belle journée de pêche, sans pouvoir imaginer qu’un cataclysme s’y préparait et qu’il en serait l’une des victimes oubliées à jamais. On ne le saura malheureusement jamais...
Ce que l’on sait par contre, c’est que les marins de cet écrin alpin ne doivent pas sous-estimer la dure réalité des éléments. Le regard bleu acier d’Éric Tabarly l’a bien saisi alors qu’il participe à la régate du Bol d’Or en juin 1991, sur le catamaran Le Matin skippé par Édouard Kessi. Le loup de mer, habituellement taiseux, a manifesté sa surprise face aux changements radicaux de conditions de navigation sur cette « mer intérieure ». La morphologie complexe du relief qui la cerne en fait un point de rencontre de vents de caractères très différents et instables, exigeant une profonde connaissance de ces « bascules » d’air pour y naviguer en toute prudence. Les riverains ne gardent-ils pas mémoire de la découverte, en 1984, de la célèbre épave du Rhône, gisant depuis 100 ans dans les profondeurs du lac ? La nuit du 24 novembre 1883, une tempête d’une rare violence avait en effet transformé les eaux en véritables furies et précipité le bateau dans les abysses avec bon nombre de passagers.
Mais ce qui eut lieu en 563 dépasse l’entendement...

La bête de l'Apocalypse se réveille…
La traîtrise des vents n’est pas le seul danger qui menace cet espace... Deux grandes figures de l’Église du VIe siècle, Marius d’Avenches (évêque, né vers 530 et mort autour de 593) et Grégoire de Tours (prélat et historien 538-594) ont laissé à la postérité le récit terrible d’un événement de grande ampleur, daté de 563.
Dans un manuscrit conservé aujourd’hui à la British Library de Londres, l’évêque d’Avenches écrit que « la grande montagne du Tauredunum » s’est effondrée brutalement écrasant villages, populations et animaux. Le lac, poursuit-il, en fut « agité » à un degré tel que s’ensuivirent dévastations tout au long de ses rives, jusqu’à Genève qui vit son pont disparaître sous une vague dont on sait aujourd’hui qu’elle mesurait 8 mètres. Elle couvrit la ville dans un fracas qu’on imagine surgi de l’enfer ... De son côté, Grégoire de Tours évoque les « mugissements du Tauredunum » pendant les soixante jours précédant le drame. La montagne semble donc avoir grincé, craqué, gémi pendant plusieurs semaines sans que les autochtones, installés entre d’imposants massifs alpins et une étendue d’eau d’environ 600 km2 n’aient eu le réflexe de fuir.
Que s'est-il passé ?
Nos auteurs médiévaux ont décrit un tsunami, dont la première onde a atteint une hauteur de 13 mètres au niveau de Lausanne. Habituellement, une telle catastrophe se pense en espace océanique mais les levées titanesques d’eaux sont bien plus fréquentes qu’on ne le pense en terrain lacustre. L’archéologie en trouve trace (entre autres) dans le lac de Lucerne datant de 1601 et de 1687, et celui de Lauerz en 1806...
Le tsunami XXL du Léman s’est enclenché au niveau du delta du Rhône. Le mystérieux « Tauredunum » est maintenant identifié : il s’agit de La Suche, dans le massif du Grammont, qui s’est en partie fracassée dans la vallée du fleuve, en amont du delta. Le nom ancien de cette montagne en dit long... « Tauredunum », le « Mont du Taureau ». La montagne a donc été, en des temps immémoriaux, assimilée à cet animal furieux, indocile, brutal et mugissant. Si l’éboulement n’a pas eu lieu directement dans le lac, il a toutefois déclenché une avalanche sous-lacustre des sédiments du delta, élevant une vague terrifiante qui mettra une heure pour arriver à Genève, semant effroi et mort sur son chemin.

Épilogue
Une catastrophe de ce type peut-elle se reproduire aujourd’hui ? Oui. L’événement de 563 n’est pas unique, l’archéologie a montré que plusieurs tsunamis ont eu lieu dans cette zone. Faut-il s’en inquiéter ? Certainement oui... et non ! Que faire, sinon se laisser bercer par les eaux limpides, en s’attachant aux saveurs délicates de l’instant présent, faute de pouvoir lutter contre les forces de la nature.
Pour prolonger votre curiosité…
- Exposition “Un tsunami sur le Léman”, au musée du Léman jusqu’au 6 janvier 2024
- Lecture : “Un tsunami sur le Léman. Tauredunum 563” de Pierre-Yves Frei et Sandra Marongiu
- Vidéo : un tsunami géant sur le Léman