Pas si « dark » que certains le disent
Avant de se noyer dans la Mer du Nord, le fleuve Deben se promène dans le Suffolk, au sud-est de l’Angleterre, le long de villes et de villages qui ont connu par le passé des aventuriers aux dents longues. En premier lieu, les Romains, par leur installation sur l’île au tournant du 1er siècle av. J.C. / 1er siècle ap., sous l’autorité de César, puis de Caligula et enfin de Claude. L’historien Dion Cassius (début du IIIe s.) raconte que ce dernier fit une entrée spectaculaire à Camulodunum, l’actuelle Colchester, à dos d’éléphant, sous les yeux éberlués des autochtones. Ils ignoraient sûrement que dans un passé lointain, Hannibal en avait déjà testé l’effet dans le sud de l’Europe...
Changement de décor au début du VIe siècle. Vers 510, des troupes romaines quittent en masse la (Grande) Bretagne : l’Empire, tombé en 476, n’est plus que l’ombre de lui-même, au grand bonheur des « barbares » pour qui la voie est libre. Des peuples germaniques traversent alors la mer du Nord, s'installent dans le sud-est de l’Angleterre et amorcent un temps souvent dénommé « l’ ge obscur » (Dark Age). Si le fleuve Deben avait pu parler, il aurait démenti l’expression puisque dans l’horizon de ses méandres se cachent des trésors enfouis par les Anglo-Saxons, dont le plus prestigieux se niche au fond d’un jardin...
L’œil de lynx de Madame Pretty
Edith May Dempster est née dans le Yorkshire en 1883, dans une famille bourgeoise cultivée et aisée, ayant fait fortune dans l’industrie gazière. Pendant sa jeunesse, des voyages dans de lointaines contrées mènent Edith à se passionner pour l’archéologie et l’Histoire des civilisations anciennes.
En 1926, après son mariage avec Frank Pretty, le couple s’installe dans une vaste propriété, Sutton Hoo (Suffolk), nichée au fond d’un aber du fleuve Deben. Le domaine a une allure singulière avec 19 étranges monticules d’une hauteur d’environ 2,5 mètres et un diamètre entre 15 et 30 mètres. Ces tumili semblent sommeiller là depuis des siècles. Intriguée et peu satisfaite des quelques bribes écrites à leur sujet dans des chroniques cartographiques du XVIIe, Edith Pretty veut comprendre. S’assurant l’aide de Basil Brown, un archéologue autodidacte, et de quelques paysans de la région, elle organise en 1939 une campagne de fouille qui aboutit à une découverte spectaculaire : le fantôme d’un bateau de 27 mètres de long, doté d’une chambre funéraire riche en objets inestimables (or, argent, grenats, textiles précieux...). Le défunt n’y est plus mais d’évidence, il s’agit bien là de la dernière demeure d’une personnalité hors normes du VIIe siècle, enterrée en grande pompe dans son navire tiré du fleuve vers ce terrain situé à quelques centaines de mètres des rives.

Quand Netflix s’y met
Les fouilles mettent à jour un masque, devenu aujourd’hui un des objets les plus importants du British Museum. Qui a bien pu le porter ? Qui est ce « fantôme » de Sutton Hoo qui fait tant couler d’encre ?
L’argenterie provient de l’Empire Byzantin, puissance géopolitique de l’époque. Les grenats ? du Sri Lanka. Ces éléments laissent penser que cette tombe-bateau est celle d’un roi anglo-saxon : l’énergie consacrée à creuser la fosse pour y « loger » l’embarcation de 27 mètres ne peut être comprise que s’il s’agit d’une grande figure de la société de l’époque. De nombreux historiens pensent à Raedwald, roi d'Est-Anglie au début du VIIe siècle.

Nous sommes donc ici face à l’une des plus grandes découvertes archéologiques du Royaume-Uni. Si quelques autres tombes-bateau sont connues (voir le magnifique navire sépulture viking d’Oseberg, mis à jour en Norvège au début du XXe siècle) aucune n’a fait l’objet d’un film... sauf Sutton Hoo. En 2021, le réalisateur australien Simon Stone produit "The Dig", avec Carey Mulligan dans le rôle d’Edith Pretty (disponible sur Netflix). Il offre une magnifique mise en scène d’une Angleterre qui s’apprête à entrer dans un vrai « Dark Age », celui de la Seconde Guerre mondiale, tandis que de prestigieux vestiges de la civilisation anglo-saxonne sont révélés. Un moyen pour les Anglais de sublimer leur culture, en un temps où l’Europe commence une marche funèbre. Film à ne pas rater.