Ectoplasmes à roulettes, préparez les bougies !
2021 fête les 80 printemps d’Archibald
En 1941, après la publication de huit aventures de Tintin, George Remi = RG = Hergé dessine Le Crabe aux pinces d’or pour le journal belge Le Soir-Jeunesse, dans lequel apparaît un nouveau personnage auquel le monde de la mer doit rendre hommage cette année pour ses 80 ans : l’inimitable capitaine Haddock. En cette époque conservatrice, Il fallait oser inventer un tel profil. Archibald est non seulement gravement porté sur la bouteille mais aussi prolixe en insultes hautes en couleur. Les parents auraient pu choisir de mettre l’album à l’index mais Hergé réussit un nouveau coup éditorial avec ce marin incontrôlable. Haddock intègre en effet la série après l’invention des Dupondt, rocambolesques à leur manière. Ils sont jumeaux parait-il. Pourtant... l’un s’appelle DuponD, l’autre DuponT... ils n’appartiennent apparemment pas à la même famille ... Ils n’ont pas non plus les mêmes goûts pour la silhouette de leur moustache : DuponD taille à l’horizontale, DuponT en virgule. Tout l’art d’Hergé est là : un dessin d’orfèvre au service de personnages que nous pensons connaître mais, à bien les observer, chacun d’entre eux est intrigant.
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! Qui es-tu ?
Prenons Tintin. Qui est-il ? De ce jeune héros, on ne connaitra jamais le nom, l’âge, la famille, le lieu de naissance, l’éducation, les études ... Hergé aime décidément jouer du mystère. Il est vrai que dans sa propre famille, le thème de la filiation pose soucis : le père d’Hergé a un frère jumeau. Le nom du géniteur reste secret mais des « choses » sont dites... Ne serait-ce pas le comte Errembault de Dudzeele chez lequel la grand-mère d’Hergé est domestique ? Mystère... mais le dessinateur choisit de renseigner un peu plus le lecteur sur Archibald Haddock : le capitaine appartient à l'aristocratie navale (tiens donc !). Il descend d’un noble de l’époque de Louis XIV, François « Chevallié de Hadoque, capitaine de la Marine du Roy ». Le changement d’orthographe s’explique peut-être par une petite conversation domestique qu’Hergé aurait eu un jour, avec son épouse, sur le repas du soir. Curieux du menu, Madame lui répond « de l'aiglefin... c'est un triste poisson anglais, du haddock ». L’amour et l’humour des mots mènent le dessinateur à associer notre capitaine un brin dépressif à ce poisson morose. Tout le génie d’Hergé est là.
Prix Nobel de l’invective
Les vitupérations du capitaine font certainement gagner beaucoup de points au Scrabble. La victoire est au bout du chevalet si vous gardez en mémoire « mrkrpxzkrmtfrz » ou « krrtchmvrtz ». Un brin soupe au lait, Archibald excelle dans le juron inventif. Le célèbre « Tonnerre de Brest » en dit long sur sa culture. L’expression semble liée aux coups de canon jadis tirés dans le bagne de Brest pour prévenir la population d’une évasion de forçat. Bruno Calvès, chercheur à la dent dure, a trouvé récemment une autre explication : dans la nuit 14 au 15 avril 1718, la foudre frappa 24 églises dans la région. Le souvenir de la puissance exceptionnelle des coups de tonnerre est resté ancré dans les mémoires. Dont celle de notre marin au long cours. Ne pouvant utiliser d‘insultes communes sous peine d’être censuré, Hergé collectionne des mots rares ou des associations de termes insolites pour son capitaine qui s’en jette souvent derrière la cravate : « nyctalope » n’est pas ce que vous pensez, mais juste la faculté de voir la nuit ; « ophicléide » n’est pas une bactérie antédiluvienne mais un instrument de musique.
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