Les esclaves abandonnés de Tromelin
Maudit bateau…
En 1664, Colbert, efficace ministre d’État de Louis XIV, fonde la Compagnie française des Indes orientales et en fixe le siège à Lorient. La France entre ainsi dans une rude guerre commerciale asiatique dominée jusqu’alors par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. L’administration royale accorde à la Compagnie française de nombreux privilèges et lui octroie le monopole du négoce et de la navigation dans les océans Indien et Pacifique. Un siècle plus tard, le 17 novembre 1760, dans un contexte économique toujours très virulent, sort de l’arsenal de Bayonne un navire dont personne ne pouvait imaginer le destin tragique, ou plutôt celui de son équipage. Son nom est curieusement prémonitoire, l’Utile.

L’appât du gain du capitaine
En juin 1761, l’Utile est pressé… ou plutôt son capitaine, Jean de Lafargue. Envoyé à Madagascar pour débarquer des denrées de la métropole et embarquer des produits locaux, Lafargue doit ensuite faire route vers l’île de France (ancien nom de l’île Maurice). Or le capitaine, un brin cupide, est aussi négrier à ses heures. En toute illégalité, il entasse 160 esclaves malgaches dans les cales de l’Utile, pressé de les vendre à Maurice. L’urgence, mauvaise conseillère, le rend sourd aux conseils de prudence de son pilote. Il craint un banc de sable repéré dans la zone en 1722 mais les cartes à bord n’en donnent pas une position précise. La nuit du 31 juillet 1761, l’Utile y fait naufrage. La tragédie de l’île Tromelin commence.

Cruauté d’un côté, courage de l’autre
Au petit matin, les survivants découvrent un îlot de corail d’un km2 dont le point le plus haut s’élève à 5 m. La végétation y est éparse, l’alizé soufflant en permanence. Rapidement, les 123 membres de l’équipage et environ 90 esclaves s’organisent. Le 27 septembre 1761, les Français repartent sur un bateau de fortune construit avec les débris de l’Utile, laissant sur place les esclaves à qui on promet un secours rapide. Leur attente durera … quinze ans. Avec un courage inouï, les Malgaches organisent une micro société, construisent un habitat solide en pierre, réparent les ustensiles de l’Utile, se nourrissent d’oiseaux, de tortues, de poissons, maintiennent un feu alimenté par le bois du bateau, boivent l’eau saumâtre captée en profondeur. On se sait rien des terreurs qu’ils ont endurées, de l’espoir perdu, des morts... En novembre 1776, enfin, un navire vient les sauver. Ne restaient en vie que sept femmes et un bébé.
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