Quand les Grecs voyaient la mer rouge...
Petite mise au point
Naviguer en Grèce est une promesse de paradis. Quel marin ne s’est pas laissé bercer par la torpeur méditerranéenne, voilier poussé par le zéphyr, doux vent d’ouest si agréable que les Antiques n’ont pas manqué de déifier... Séduction suprême donc, accentuée par le charme de la nature aux couleurs nuancées, entre le vert profond des pins, oliviers ou autres cyprès, le bleu du ciel et de la mer d’une densité inégalée, et l’éblouissante lumière blanche du marbre des temples. Parfaite palette d’un navigateur romantique... à laquelle Ulysse n’aurait rien compris. Car notre héros, issu de l’imagination fertile d’Homère (VIIIe av. J.C.) et grand arpenteur de l’espace méditerranéen, percevait (logiquement) ce monde à travers les codes de la culture hellénique. Or, pour le Grec de ces temps-là, le temple est bariolé et la mer... rouge.

Vous avez dit coloré, le temple ?
Temple bariolé ? Impossible dirait notre marin oisif, contemplateur des beautés grecques. Hissé sur son mât, aucun doute à avoir : se détachant sur l’horizon bleu azur, les architectures et les sculptures des Anciens sont bel et bien blanches aujourd’hui. Mais en réalité... les choses étaient tout autre dans l’Antiquité. L’archéologie moderne prouve en effet que les temples et leurs décors étaient flamboyants, tapissés de couleurs vives : rouge, bleu, doré... ce qui ne manquerait pas de choquer l’amateur d’une culture antique rêvée pure et blanche si ces monuments étaient repeints selon leurs tons d’origine. Ce n’est pas tout ! Si nos Hellènes se délectaient de couleurs bariolées à terre, en mer, la perception du bleu leur échappait, au profit du pourpre. Naviguer en eaux rouge violacé, quel spectacle ! Une explication s’impose...

Rouge, comme le danger...
Pour bien comprendre, rappelons que notre vision est avant tout une perception nourrie de la culture à laquelle nous appartenons. Le regard porté sur le monde change d’une culture à une autre et d’une époque à une autre. Une couleur n’est pas seulement un mot, c’est aussi une sensibilité. Si notre marin se réjouit en 2019 de ses vacances en Grèce, exalté par l’effet idyllique du bleu méditerranéen, le Grec ancien était plus circonspect. Il prenait la mer par nécessité économique ou guerrière, pas par loisir. La notion de navigation « de plaisance » lui aurait semblé bien étrange, tant la fureur des flots le terrifiait : « Quand le vent se déchaîne, le flot devient géant et dresse ses montagnes gonflées » écrit Homère, évoquant une vague scélérate. Le lien avec la couleur rouge ? Le vin. Homère qualifie la mer de vineuse. Le plaisir de boire, s’il se transforme en abus, peut être fatal. L’homme ivre tangue, perd le contrôle, se met en danger. Comme le marin grec sur les impitoyables flots rouge-vin, symboles de péril, voire de mort... Alors, bleue, la mer ?
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