Vacances sur le fil du rasoir
Amis de Filovent, si cet été vos voiles vous mènent en baie de Naples, ne manquez surtout pas de mettre le cap à l’ouest pour découvrir une autre baie, celle de Pouzzoles, où pléthore d’histoires fumeuses vous attendent. Amarrer son voilier dans le port de cette ville de 80 000 habitants induit, avant toute chose, de choisir l’amnésie pour éviter la pleine (et dérangeante) conscience de l’infra-monde tellurique sur lequel Pouzzoles est assise. Dans ses entrailles, l’un des volcans les plus inquiétants de notre planète rumine en attendant son heure. À quarante kilomètres vers l’est, le Vésuve fait de même, sans compter celui de la belle île d’Ischia, à 30 kilomètres au sud.
Bienvenus dans les Champs Phlégréens (Campi Flegrei) ! Ce nom peut étonner, bien qu’il soit en parfaite adéquation avec la réalité de Pouzzoles. Ce sont les Grecs antiques qui, installés dans la région depuis le VIIIe siècle av. J.C., n’ont pas manqué d’y observer sources chaudes, gaz et vapeurs surgir de nulle part, troublant l’atmosphère d’une baie qu’ils ont tout naturellement baptisée « champs brûlants » ou « champs ardents » ...
Cette région hautement volcanique fascine les Anciens, Grecs comme Romains. Pour ces deux peuples, les Champs Phlégréens incarnent un lieu riche en péripéties mythologiques, à commencer par la conviction que l’inquiétant lac Averne, situé au cœur d’un cratère à quatre km au nord de Pouzzoles, ne peut être autre chose que la porte de l’Hadès, c’est-à-dire ... des Enfers ...
Frissons garantis.

Baïes, le Saint-Tropez en toge
La colonie romaine de Puteoli (Pouzzoles) naît en 195 avant J.-C., accrochée sans le savoir sur le flanc d’un méga volcan dont la majeure partie se trouve sous la mer.
Au cours du Ier siècle av. J.-C., souffre, fumerolles, mythes et tremblements ne manquent pas d’attirer les happy few de la Rome antique en quête contradictoire de fêtes débridées et de repos dans un entre-soi mondain. Se déploie alors, à quatre kilomètres au sud-ouest de Puteoli, la cité de Baïes, ville d’eau et de divertissements des plus grandes personnalités du monde politique et économique de Rome, ravies de s’éloigner du chaos de la capitale. La baie se dote en 37 av. J.C d’un port militaire – Portus Julius, construit sous l’autorité du général Marcus Vipsanius Agrippa – facilitant la connexion entre la Campanie et le Latium. La gloire de l’Empire, que l’on pense invincible, est marquée par la venue à Baïes de ses plus grandes figures pour s’y prélasser : Jules César, Marc-Antoine, Auguste, Caligula, Claude, Néron – aussi sulfureux que les volcans environnants – feront la « Belle Époque » du lieu.
Villas, thermes, tavernes, nymphée, temples dotés de décors somptueux fleurissent. Rien n’est trop beau pour l’élite : marbres, mosaïques, sculptures ornent édifices publics comme privés, qu’il faut imaginer enveloppés d’un tourbillon de vies insouciantes et licencieuses, « lieu de plaisance de tous les vices » écrit Sénèque. On fait à Baïes ce qui est moins permis à Rome... Luxe, calme et volupté emmêlent les corps, sur fond de conquêtes impériales dont, par bonheur, on n’entend pas les douleurs ... Les gaz volcaniques rendraient-ils amnésiques ? Nul ne le sait... Il est vrai qu’entre deux dégustations d’huîtres produites sur place, on finit par oublier le sens du nom de la baie, si bien choisi par les Grecs ...
On se croit au paradis alors qu’on vit sur l’Enfer...

Le sommeil du monstre
Dans les entrailles de l’immense caldeira qu’est la baie de Pouzzoles, la Bête veille. Somnolente, certes, mais active. L’Historien et géographe grec Strabon (63 av. J.-C. – 25 ap. J.C) écrit que « toute la contrée jusqu’à Baïes et jusqu’aux environs de Cumes est pleine de soufre, de feu et de sources chaudes ». Il oublie un phénomène, qui conduit inexorablement Baïes à sa perte : le bradyséisme, sorte de « respiration verticale » du sol dans un environnement volcanique. Périodiquement, le « plancher » des Champs Phlégréens s’élève ou s’affaisse selon une intensité variable, provoquant la submersion lente mais irrémédiable de l’ancienne ligne de côte de la baie de Pouzzoles. Conséquence ? Baïes gît aujourd’hui entre 2 et 8 mètres sous l’eau (!). S’il ressuscitait, Néron en perdrait (une deuxième fois) la raison : les fastes de sa villa, dorénavant sous l’eau, semblent indifférer les poissons musardant au-dessus des vestiges, l’œil morne. Quelle humiliation !
Par contre, ceux qui n’en croient pas leurs yeux sont les visiteurs-plongeurs guidés par le personnel de centres de plongée habilités à faire découvrir le patrimoine unique de ce que l’on appelle aujourd’hui le Parc Archéologique des Champs Phlégréens. Les sculptures originales ont certes été extraites et déposées au musée de la baie mais remplacées par des copies. Pour le reste, la Baïes antique est là, avec le nymphée de Claude, marbres et mosaïques, tavernes en bord de rue, structures de villas (dont la villa de Pison d’environ 2 000 mètres carrés ou celle dotée d’une piscine d’eau de mer), vestiges du port et des thermes... Tout cela à portée de main.
Un voyage unique dans le quotidien éclatant d’une certaine Antiquité romaine.
