De l’importance du souvenir
Il y a seulement quatre-vingts ans, le 6 juin 1944, des milliers de soldats alliés débarquaient sur cinq plages de la côte normande. S’il est difficile d’imaginer ce que cet événement déterminant de la Seconde Guerre mondiale a pu susciter dans le cœur des contemporains, nous ne cessons, années après années, hommages après hommages, de découvrir le nom et la personnalité de héros méconnus et pourtant fondamentaux dans ces moments de lutte contre le mal absolu. Rappelons que ce conflit a causé tant de morts - militaires comme civils - qu’il est aujourd’hui défini comme une conflagration «d’anéantissement», l’humanité y ayant subi un paroxysme de violence, pendant six années interminables... Par le bilan incertain du nombre de victimes, le pire s’ajoute au pire : le Musée de l’Armée (Paris) évoque plus de 60 millions de morts. «Plus de...»? Combien alors?
Face à la profonde crise morale que cette guerre a suscitée - la deuxième du siècle - souvenons-nous que pléthore d’individus se sont remarquablement investis pour provoquer une inclinaison cruciale vers la fin des fureurs apocalyptiques. Parmi eux Andrew Jackson Higgins (1886-1952) dont le mémorial se trouve sur Utah Beach (Manche), à l'endroit où plus de 23 000 soldats américains ont débarqué le 6 juin 1944 grâce à ses créations amphibies.

L’homme qui savait naviguer hors de l’eau
Andrew Jackson Higgins naît en 1886 à Columbus (Nebraska), à environ 2 200 km de l’océan Atlantique et 2 800 du Pacifique. Il aura donc été, dans son enfance, totalement étranger aux embruns du grand large.
À vingt ans, le jeune homme ambitieux, orphelin de père depuis l’âge de sept ans, quitte son État natal pour travailler dans le secteur du bois, se spécialisant peu à peu dans la construction navale. Rien d’étrange, Andrew ayant suivi avec intérêt des entraînements amphibies sur les eaux peu profondes de la rivière Platte (Nebraska), lors de sa formation militaire.
Entrepreneur dans l’âme, il s’installe en 1910 à la Nouvelle-Orléans où il crée au début des années 30 les chantiers Higgins Industries, concepteurs d’embarcations adaptées au contexte marécageux, au cœur des bayous ... Les bateaux d’Higgins peuvent ainsi naviguer sans dommages sur de courtes bandes de terre, sur des racines de palétuviers ou de cyprès géants, sur des troncs flottants etc.
Nombre de métiers liés à ces milieux singuliers s’intéressent à l’ingénierie développée par l’armateur qui se pare rapidement d’une belle réputation. Des agents de l’US Army se rapprochent de lui, curieux d’en savoir plus sur le bateau Eureka, dont le faible tirant d'eau, l’hélice protégée et la proue en biseau, permettent des débarquements au plus près des lignes de côtes.
Higgins collabore dorénavant avec le gouvernement fédéral.

Andrew le Providentiel
Arrive 1939, l’année de la déflagration. Le ciel s’assombrit de l’autre côté de l’Atlantique. La dystopie du Grand Reich accélère le pas et donne l’ordre à la Wehrmacht, le 1er septembre, de franchir la frontière polonaise...
La Seconde Guerre mondiale commence.
Très tôt, l’armée américaine réfléchit sur la manière de procéder à des débarquements amphibies. Higgins modifie immédiatement les plans de l’Eureka, capable de naviguer dans seulement 15 cm d'eau, pour le transformer en une barge de bois et d’acier dotée d’une «proue-rampe» à «déployer» une fois le bateau arrivé sur la plage.
Ainsi naît le LCVP (Landing Craft, Vehicle and Personnel) ou «Higgins Boat», qui permet aux troupes (36 soldats), équipements militaires, chars, jeeps – soit plus de 3,5 tonnes - de débarquer rapidement (12 nœuds) et efficacement. Sans ces LCVP, le D Day n’aurait pas été le même, c’est certain. La contribution d’Higgins à l'effort de guerre américain fut si importante que le Président Dwight D. Eisenhower dit à son propos, lors d’un entretien en 1964 :
«Si Higgins n'avait pas conçu et construit ces LCVP, nous n'aurions jamais pu débarquer sur une plage ouverte. Toute la stratégie de la guerre aurait été différente. Andrew Higgins est l'homme qui a gagné la guerre pour nous »
Hitler l’aurait, de son côté, qualifié de «Nouveau Noé»... Paroles à considérer avec circonspection, au vu de la source.
