Naviguer pour remonter le temps
Pérégriner au fil du vent dans l’espace méditerranéen promet toujours de beaux rêves, les fonds marins regorgeant de vestiges des civilisations qui en ont fait l’Histoire.
Dans la moitié orientale de cette mer intérieure somnolent deux des Sept Merveilles du monde qui font encore aujourd’hui couler beaucoup d’encre tant elles incarnaient en leur temps puissance et démesure.
La première surplombait (dit-on !) le port de Rhodes, offrant l’image sidérante d’un colosse d’une trentaine de mètres dominant son accès. Édifié vers 295/292 av. J.-C., il aura fallu une douzaine années pour le construire.
La seconde ? Le phare d’Alexandrie (285/280 av. J.-C.), point d’orgue d’une ville ordonnée par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C. Le conquérant n’aura malheureusement pas connu cette tour-lanterne « lumière du monde », commandée par son général et ami Ptolémée 1er. Dommage... le prince macédonien aurait sûrement considéré digne de son rang le rayonnement du phare nourri de nuit par un feu XXL crépitant au sommet. De jour, autre spectacle : une spirale de fumée épaisse perceptible sur une vaste distance orientait les marins vers la côte égyptienne, terre presque providentielle puisqu’arpentée par le grand Alexandre...
Rhodes. Quelle mise en scène !
Les Sept Merveilles du monde partagent de nombreux points communs : magnificence, prouesses techniques, fulgurances visuelles par leurs dimensions et scénographies impactantes ...
En juin 323 av. J.-C, Alexandre le Grand passe de vie à trépas à Babylone, emporté, dit la tradition, par le paludisme. Le corps est à peine refroidi que des conflits entre les diadoques - titre donné à ses généraux - se multiplient. Voraces et ambitieux, ils caressent le rêve de s’accaparer des territoires conquis par feu l’empereur. L’un d’entre eux, Démétrios Ier Poliorcète (336-282 avant J.-C.), vise l’île-cité de Rhodes, haut lieu de commerce maritime.
Mauvaise pioche ! Certes, le siège fige la ville en – 305 mais les trompettes de la victoire sonneront du côté des Rhodiens.
Chargé d’incarner leur puissance, le bronzier Charès de Lindos imagine une sculpture monumentale riche en symboles d’autorité et de grandeur : le Colosse Hélios, dieu solaire des Grecs, dont les mythes racontent qu’il quitte l'Est à l’aube, la tête auréolée de rayons d'or, glisse vers l'Ouest sur son char de feu où il se dissout dans les brumes du crépuscule. Marié à Rhodé, fille de Poséidon, l’île-cité est son domaine. Le géant couronnera donc le port de Rhodes du haut de ses 31 mètres de bronze éclatant au soleil, scrutant l’arrivée des embarcations venant d’horizons lointains.
En 225 avant J.-C, un violent séisme émiette le Colosse dont on ne sait aujourd’hui où se trouvent les vestiges, son emplacement originel restant un mystère. Une énigme à résoudre...
« Je suis la Lumière du monde »
Cap vers le sud-est à destination de l’Égypte. Une autre Merveille y sommeille depuis longtemps...
À la mort d’Alexandre en 323 av. J.-C., son compagnon Ptolémée 1er hérite de ce prestigieux pays dont il devient roi en - 305. Alexandrie est alors en cours de construction, dans un environnement surprenant : ni sur le Nil, ni dans son delta, mais sur une terre oblongue, disgracieuse, marécageuse, située entre la Méditerranée et le lac Mariout. Le conquérant macédonien l’a voulue moderne par son plan en damier et dotée d’infrastructures ponctuées de monuments prestigieux : murailles, ports, avenues amples de plusieurs dizaines de mètres, temples, théâtre, gymnase etc. Viendra ensuite la célébrissime bibliothèque... Le tout se révèle digne de l’esprit d’Aristote, précepteur d’Alexandre quand il était enfant. Le prince n’aura évidemment rien pu voir de la cité, son séjour en Égypte s’étant limité à quelques mois entre l’automne 332 et le printemps 331.
Alors que le chantier de la ville d’Alexandrie bat son plein, côté mer, Pharos, un îlot lui faisant face, attend son heure. Autour de -285/280, Ptolémée ordonne à l’architecte grec Sostrate de Cnide la construction d’un phare sur la pointe orientale de l’îlot. Édifié sur une large base, le bâtiment s’élève à 135 mètres par une alternance géométrique : carrée, octogonale puis ronde, le tout couronné d’une statue.
Axe lumineux de nuit et fumant de jour, visible sur plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, le phare d’Alexandrie fascine immédiatement le monde antique. Tout y contribue : le prestige de la lignée alexandrine, la ville nouvelle, la puissance de l’Égypte hellénistique, l’exploit technique ...
Le marin qui aura eu la chance de naviguer sous l’œil du Colosse et sous l’éclat du phare a dû mourir heureux !
Le temps faisant irrémédiablement son œuvre, la Merveille alexandrine s’est délitée au fil des siècles et des intempéries. À sa place aujourd’hui siège le fort de Qaitbay, architecture militaire mamelouke du XVe qui contient, dans sa structure, des éléments du phare.
Sous l’eau, des blocs originels patientent, contribuant au romantisme du lieu.
Épilogue
Choisir aujourd’hui de naviguer entre ces deux hauts lieux garantit d’infinies divagations des sens et foule de questionnements sur les imaginaires enchantés des peuples de l’Antiquité.
Amis de Filovent, préparez-vous à parcourir les 326 miles nautiques qui séparent Rhodes d’Alexandrie. Votre voilier fera office de machine à remonter le temps.
