Depuis la fin du XIXe siècle, la navigation commerciale à voile a été durement concurrencée par les navires à vapeur, puis à propulsion diesel jusqu’à disparaître totalement dans les années 1960. La voile refait aujourd’hui son apparition dans le transport maritime, portée par des considérations écologiques, des enjeux économiques et une proposition technologique crédible…
Le vent : un actif économique réel
Les chiffres du transport maritime donnent le vertige : 90% du volume du fret mondial est transporté par quelques 105 000 cargos. Une industrie qui génère plusieurs centaines de milliards de dollars de chiffre d’affaires. Le géant français du secteur CGA-CGM a, par exemple, réalisé en 2024 un CA de 36,5 milliards de dollars, en hausse de 16,2% par rapport à 2023… Les bénéfices sont tout aussi faramineux, mais grevés par une variable dont le coût est très volatile : le fioul, directement lié au prix du baril de pétrole qui a oscillé ces dix dernières années entre 19 et 129 dollars.
Autre réalité dont doivent tenir compte les armateurs : le transport maritime représente 3% des émissions de gaz à effet de serre et pourrait atteindre 17% en 2050 si la tendance se poursuit. Une situation intenable qui pousse les armateurs à trouver des solutions pour réduire la consommation de leurs navires. Question de survie, écologique mais surtout économique !

Mais ce n’est pas tout : depuis le 1er janvier 2025, l’entrée en vigueur du règlement européen FuelEU Maritime et l’intégration du transport maritime au marché carbone européen (EU-ETS) bouleversent les équilibres économiques du secteur. Chaque tonne de CO₂ émise doit désormais être compensée par des quotas, dont le prix avoisine 80 € la tonne. À cela s’ajoute une trajectoire de réduction progressive des émissions : –2 % dès 2025, –6 % en 2030, jusqu’à –80 % en 2050.
Résultat : le vent, énergie gratuite mais longtemps négligée, devient un levier de conformité. Chaque kilowatt-heure de propulsion obtenu grâce à la voile réduit d’autant la facture carbone et les achats de quotas sans compter les économies réalisées sur la consommation des cargos. Là où la voile faisait autrefois figure d’anachronisme, elle devient aujourd’hui un outil de compétitivité.
Des résultats mesurés et prometteurs
Les voiles font leur retour sur les bateaux de transport, qu’il s’agisse de fret ou de passagers. En 2024, le secteur mondial de la propulsion assistée par le vent pesait déjà environ 120 millions de dollars, avec un taux de croissance estimé à plus de 70 % par an sur la décennie à venir. Une cinquantaine de navires étaient équipés début 2025, et plus de cent le seront d’ici fin 2026. 1000 en 2030.
Les levées de fonds se multiplient – Grain de Sail vient de faire une annonce en ce sens pour, entre autres, agrandir sa flotte avec un troisième voilier cargo qui dépassera les 100 mètres de long. Grain de Sail III deviendra ainsi le plus gros porte-conteneurs vélique au monde avec une capacité de charge de 200 conteneurs et une réduction de son empreinte carbone de plus de 90%.
Car oui, le transport à la voile est non seulement devenu une réalité, mais les économies réalisées par les armateurs sont réelles et les chiffres issus des premiers retours d’exploitation parlent d’eux-mêmes :
- Le Kamsarmax Pyxis Ocean (Cargill), équipé de deux ailes rigides WindWings, économise environ 3 tonnes de fuel par jour, soit près de 10 % sur une route transocéanique moyenne.
- Le roulier Canopée, utilisé pour le transport des éléments de la fusée Ariane, affiche des économies de 1,3 tonne de fuel par jour grâce à sesailes OceanWings, soit plus de 20 % sur certaines traversées.
- Le pétrolier Maersk Pelican, équipé de rotors Flettner Norsepower, a réduit sa consommation annuelle de 8,2 %, confirmant la fiabilité de la technologie.
- Sur le ferry Viking Grace, la même technologie a permis d’économiser environ 300 tonnes de GNL par an, un gain équivalent à plus de 1 000 tonnes de CO₂ évitées.
Les performances varient selon les solutions techniques choisies, le type de navire, la route, la vitesse et le profil des vents, mais les gains restent systématiques : entre 5 % et 20 % en moyenne, avec des pics supérieurs à 30 % lorsque les conditions sont favorables.

Des armateurs et des passagers séduits
Le retour de la voile dans le transport maritime ne touche pas que le fret : Sailcoop propose différentes liaisons entre la Corse et le continent, pour vous rendre aux Glénan ou traverser l’Atlantique… à la voile ! Après seulement 4 ans d’existence, l’entreprise a transporté plus de 18 000 personnes cette année. De quoi décarboner, un peu, les secteurs du transport et du tourisme (en France, le tourisme représente 11% des émissions de CO2, et la part du transport dans ce chiffre s’élève à 77%).
Même le monde de la croisière se montre intéressé : Orient Express Corinthian, le plus grand paquebot à voile du monde avec ses 220 mètres de long vient d’être mis à l’eau en juin dernier. Il commencera son exploitation commerciale en 2026 et sera propulsé par trois voiles rigides (SolidSail) de 1500m2. 54 suites, 5 restaurants, et une vitesse espérée avec la seule force du vent de 17 nœuds !
Et demain ?
Le vent n’est pas une ressource constante : selon les routes, les gains varient fortement. L’intégration structurelle des mâts ou des rotors peut poser des contraintes de stabilité et de chargement. Mais les progrès sont rapides : les systèmes sont désormais automatisés, repliables et intégrés au routage météo, permettant de gérer en temps réel l’angle, la poussée et la sécurité. Les coûts de maintenance restent faibles, et la rentabilité de l’investissement est d’autant plus rapide que les quotas carbone renchérissent le coût du fuel.
Alors, le transport maritime à la voile est-il vraiment LA solution d’avenir ? La question ne se pose déjà plus. Le vent, loin d’être un symbole du passé, s’impose aujourd’hui comme un élément structurant de la transition énergétique maritime d’un monde où écologie et économie vont dans le même sens…
Sources utilisées pour la rédaction de cet article :
- [1] https://navistratanalytics.com/report_store/wind-assisted-propulsion-market/
- [2] https://gard.no/insights/will-2025-be-the-year-of-the-waps/
- [3] https://www.dnv.com/news/2025/Rapid-WAPS-uptake-driven-by-stricter-emission-regulations-and-industry-innovation
- [4] https://www.oceanwings.com/news/two-years-four-oceanwings-one-clear-result-wind-propulsion-delivers
- [5] https://en.wikipedia.org/wiki/Pyxis_Ocean
- [6] https://en.wikipedia.org/wiki/Maersk_Pelican
- [7] https://bound4blue.com/
- [8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Oceanbird
